Des deux termes qui composent l’acronyme UX, le second est clairement le plus difficile à définir.

L’utilisateur d’une application peut avoir différents niveaux de compétences, il peut être débutant ou avancé, il n’en demeure pas moins un être humain qui tente d’utiliser les fonctions de la machine qui se présente face à lui.

Quand on parle de « l’expérience » en revanche, les choses sont bien plus floues. Comment définir une expérience ?

C’est éprouver intimement une réalité, ressentir quelque chose face à une situation mais sans nécessairement être capable de le décrire. Et de manière externe, c’est constater un comportement induit par une interface, des couleurs, des formes, des sons.

Cette notion d’expérience est désormais au cœur d’innombrables problématiques commerciales, parfois jusqu’à l’excès. Désormais, on ne consomme plus, on « vit une expérience ».

En 2017, pour la première fois, le prix Nobel d’économie fut décerné à un économiste du comportement, Richard Thaler. Ce dernier a montré comment des caractéristiques humaines « affectent les décisions individuelles et les orientations des marchés ».

Comment cette discipline nouvelle, même si l’origine remonte au béhaviorisme du début du XXème siècle, peut-elle significativement influencer l’efficacité d’un design et améliorer l’expérience utilisateur ?

La psychologie de la forme ou la théorie de la Gestalt

La psychologie gestaltiste signifie « forme » mais aussi « personnage »La théorie gestaltiste veut que nous percevions les objets comme faisant partie d'un ensemble vaste 

La psychologie gestaltiste (de l’allemand Gestalt signifiant « forme » mais aussi « personnage ») est une école de pensée (ainsi qu’une approche thérapeutique) élaborée par Christian von Ehrenfels à la fin du XIXème siècle.

La psychologie de la Gestalt considère l'esprit et le comportement humains comme un ensemble. Elle suggère que nous ne nous concentrons pas seulement sur chaque petit composant, mais que nous avons tendance à percevoir les objets comme faisant partie d'un ensemble plus vaste et comme des éléments de systèmes plus complexes.

Par exemple quand deux objets sont placés à proximité, ils sont considérés comme un groupe et ne sont plus considérés de façon individuelle.

Sur un site web, si vous présentez un service en utilisant trois éléments de types image, titre et lien, il sera donc nécessaire de les placer à proximité pour que le sens de chaque élément soit perçu comme faisant partie d’un groupe lié au service.

Ce postulat de base de la théorie de la Gestalt est appelé « théorie de l’émergence », ce que l’on pourrait résumer par cette phrase :

Un tout est plus que la somme de chacune de ses parties.

Concrètement, cela se décline en design sous la forme de plusieurs lois :

  • La continuité : si vous dessinez des points suffisamment rapprochés, vous percevrez une ligne
  • La prégnance : si vous représentez des formes aléatoires, votre cerveau tentera se percevoir des formes qu’il connaît, comme lorsque l’on regarde des nuages
  • La similitude : si la distance ne permet pas de les regrouper, vous penserez que des éléments semblables ont la même forme
  • Le destin commun : Vous aurez l’impression que des éléments se dirigeant dans la même direction ont la même forme
  • La clôture : Votre cerveau « comblera les trous » d’une figure connue comme par exemple un cercle discontinu.

De nombreuses réalisations graphiques prennent en compte ces différentes lois pour « hacker » la perception des utilisateurs et provoquer chez eux un sentiment inattendu, c’est-à-dire une expérience.

« Same, same, but different »

L’utilisation des sciences comportementales va au-delà de la simple illusion d’optique.

Ces sciences se divisent en deux catégories : la catégorie dite sociale (ou science de la communication) et la catégorie neurale (ou science de la décision).

Le UX design a précisément pour objectif de faciliter la prise de décision d’un utilisateur (cliquer sur une bannière, remplir un questionnaire, faire défiler un catalogue) à travers une subtile communication, déclinée sous différentes formes, couleurs, textures, sons et aides contextuelles.

La filiation entre cette discipline explorant l’activité et les interactions des personnes entre elles ou vis-à-vis d’une situation, et l’UX Design paraît donc évidente.

Elle se manifeste notamment à travers l’expérience dite du « California Roll ».

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Le California Roll est venu bousculer les habitudes alimentaires des États-Unis dans les années 70 

Dans les années 70, la consommation de sushi était quasi-inexistante aux Etats-Unis. Pour la plupart des américains, manger du poisson cru était une aberration, sans parler des algues et du tofu !

Puis vint le California Roll, fabriqué aux États-Unis en combinant des ingrédients familiers d'une nouvelle manière : le riz, l'avocat, le concombre, les graines de sésame et la chair de crabe - le seul ingrédient qui ne soit pas familier au palais américain moyen était le ruban d'algues nori à peine visible qui les maintenait tous ensemble.

Le California Roll constitua la porte d’entrée à ce nouveau type de cuisine qui représente un marché de 2,25 milliards de dollars aujourd’hui. Pourquoi ?

Tout simplement parce que les gens ne veulent pas quelque chose de vraiment nouveau, ils veulent que ce qui leur est familier soit fait différemment !

Du point de vue du UX Design, cette leçon a été parfaitement comprise par Apple, dont les représentations inutiles du familier sont devenues une de ses caractéristiques. On appelle cela le skeuomorphisme.

La représentation du calendrier de bureau Apple est désormais célèbre avec des accents de cuir surpiqué de noir.

 

 

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Cela fait bien longtemps que nous n’utilisons plus d’agenda papier, mais Apple
a décidé d’en faire une représentation surannée avec son gainage de cuir.
 
   
Cette boussole est tellement réaliste, qu'on pourrait presque la toucher

 

La simulation forcenée du réalisme permet souvent de vaincre les résistances. Apple a pu par la suite opérer un virage radical et oser dynamiter le design classique des ordinateurs grâce à l’iMac, puis tous les produits qui ont suivi.

La gamification, nouvel eldorado des sciences comportementales appliquées au « dessein »

Un nouveau mot a fait son apparition au début des années 2010 dans le vocabulaire des UX designers : la gamification (ou ludification en bon français).

Car l’idée n’est plus seulement de produire du beau, ni même du pratique, mais de l’engagement !

Or les neurosciences ont montré que la mécanique de jeu libère de la dopamine appelée aussi « hormone du plaisir » dans le cerveau humain.

En créant non plus un parcours utilisateur, mais un véritable circuit de la récompense pour les utilisateurs, les designers sont désormais capables de rendre un utilisateur « accro » à son application ! Le fonctionnement s’appuie sur deux ressorts essentiels des sciences comportementales :

  • La motivation intrinsèque (comme par exemple quand vous lisez un livre )
  • La motivation extrinsèque (la motivation qui pousse un écolier à lire un livre dans l’objectif d’obtenir une bonne note )

L’étude poussée des sciences comportementales a permis de déterminer plusieurs profils de joueurs (le collectionneur, l’exécuteur, l’explorateur et le sociable) permettant d’adapter le design des applications à des typologies de clients, définies lors des travaux de Personas.

Avec l’introduction de l’IA et des techniques automatisées d’analyses comportementales (comme le fait RankBrain de Google), ce type de design immersif est en train de prendre un ascendant certain.

L’étape ultime sera-t-elle un design construit uniquement sur une analyse extensive des comportements humains par des intelligences artificielles avancées ?

 

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